B U R E A U O F P U B L I C S E C R E T S |
(...) Voici quelques précisions sur laffiche Reich, mode demploi :
(...) Une pièce de Marivaux, auteur français du XVIIIe siècle, porte le titre Comment lesprit vient aux femmes. (On devine facilement de quelle façon !) (...)
Je te signale une difficulté qui me parait insurmontable dans la traduction en anglais de ce texte : en français, publicité veut dire à la fois advertising et public welfare, res publica, chose publique. Et bien évidemment, la pub the ad est exactement le contraire du public welfare, de la public property.
Il y a donc en français un jeu de mots détonnant que je développe dailleurs en profondeur dans mon Encyclopédie des apparences.
Je ne vois pas comment traduire cela en anglais. (...)
En effet, la misère est la seule et véritable propriété du malheureux public. Elle est en ceci commune. Seulement elle lest secrètement et en ce sens non publiquement.
Au contraire, la publicité commerciale parle de quelque chose qui nappartient pas au public, mais en parle de manière publique.
Ainsi, la publicité comprend trois moments :
*) Cest le caractère de ce qui appartient au public, de ce quil possède, de la propriété publique. Mais, cette propriété publique peut très bien être non-publique, secrète, non révélée. Cest le cas de la misère.
**) Cest ce qui est connu par le public, ce qui se fait en sa présence. Mais, cette connaissance peut très bien concerner quelque chose qui nappartient pas au public. Cest justement le cas de la publicité commerciale (advertising) en particulier et du spectacle en général.
Ainsi, dans le spectacle, ce qui est public au sens de fait en présence du public cest la totalité des individus et de leurs relations. Seulement, cette totalité, qui pourtant nest composée que deux-mêmes, ne leur appartient pas. Ils sont dépouillés de leur propre substance.
***) Enfin le troisième moment est lunité des deux premiers; cest lunité de ce qui appartient au public et de ce qui est connu du public. En un mot, cest la publicité proprement dite, la vraie publicité au sens de 1789-1793. Cest le communisme, la communauté; les conseils ouvriers furent une timide expérience de ce genre de publicité. Cest la pratique qui voit son action.
Dans un langage très hégélien, ce troisième moment est : la totalité des individus qui se supprime vers limmédiateté de lindividu. Alors : la totalité est la substance concrète de lindividu et lindividu est la puissance substantielle de la totalité qui existe pour elle-même, comme personne. (Heil Hegel !)
Voilà; le terme français publicité rend tout cela y compris linversion grotesque de la publicité quest la publicité commerciale, la réclame.
Je veux encore te signaler ce que jentends par idée dans lidée de sa suppression. Cest une conception très matérialiste de lidée. Ce que je vois alors, cest par exemple : la prise de la Bastille par le peuple de Paris, le 14 juillet 1789. Voilà ce que jentends par idée. Et comment lesprit vient aux hommes, cest comment cette idée très matérielle leur vient.
En somme ce que jentends par idée est le troisième moment de la publicité. Cest aussi ce que jentends par esprit.
Cest à la fois un fait matériel : prise et destruction de la Bastille, fait matériel par excellence. Et le contraire dun fait matériel, la suppression de ce fait collectif vers limmédiateté de lindividu. En un mot la conscience, la conscience de ce qui se fait. Etc.
Enfin, je voudrais préciser le rôle que le caractère joue pour moi afin quune importance trop grande ne lui soit donnée à travers la lecture de cette affiche.
Je tiens le caractère au sens de Reich pour un simple symptôme, pour le symptôme dun effet qui est encore caché, qui agit encore dans lombre, et qui ne peut agir que dans lombre, puisque sa connaissance ne se distingue pas de sa destruction par le peuple en armes. Le caractère ne doit être pour moi quun simple symptôme de leffet de spectacle, qui lui-même nest quun mode particulier de leffet de valeur.
Aussi, en tant que symptôme, le caractère peut être un moyen efficace de publicité dune misère secrète, dune misère encore cachée. Car le symptôme, même sil est symptôme dun mal encore inconnu, par exemple le cancer, nen est pas moins certainement un symptôme, ce qui permet au moins au malade de savoir quil est malade et non en bonne santé, comme il pourrait le croire en labsence de symptôme.
Par contre, je pense que cest une utilisation abusive que de faire du caractère une chose indépendante, avec sa propre histoire et sa propre raison.
De toute façon je développe tout cela dans Encyclopédie des apparences qui doit paraître dici la fin de lannée. (...)
JEAN-PIERRE VOYER
Ces extraits dune lettre de Jean-Pierre Voyer à Ken Knabb (20 avril 1973) étaient traduits par Knabb comme un supplément à sa traduction de Reich, mode demploi. Le titre du tract, Discretion Is the Better Part of Value, est un jeu de mots sur la phrase de Shakespeare [1 Henry IV, V.iv]: Discretion is the better part of valour (prudence est mère de sûreté ; lessentiel de courage cest la prudence).
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