B U R E A U   O F   P U B L I C   S E C R E T S


 

Dix ans sur le Web


En ce 22 août 2008, ce site web fête ses dix ans!

J’ai commencé à entendre parler du Web au milieu des années 1990. Il m’avait l’air de présenter d’intéressantes possibilités, mais la technologie en était alors assez primitive et compliquée, et il y avait relativement peu de gens en ligne. J’ai préféré attendre que le réseau d’usagers s’étende et que les techniques en deviennent plus accessibles. En outre, de 1993 à 1997 je me consacrais à la préparation de Public Secrets. Ce livre terminé, le temps était venu de me livrer à l’exploration de ce nouveau médium.

En guise d’initiation, j’ai d’abord absorbé beaucoup d’ouvrages sur les ordinateurs et sur l’Internet. Cependant les technologies progressaient si vite que la plupart de ces ouvrages étaient déjà obsolètes; mais au moins m’ont-ils donné une idée du développement historique du Web. Avec quelqu’aide de mes amis, je me suis “connecté” en juin 1998. Pendant deux mois, j’ai navigué sur le Web pour me familiariser avec son fonctionnement, y découvrir ce que d’autres en faisaient, tout en apprenant à créer des pages web, à scanner et à formater des textes pour mon futur site. Ce site fut téléchargé pour la première fois le 22 août 1998. Je l’ai annoncé par e-mail à quelques dizaines d’amis et de contacts, et dans la semaine le site a reçu plusieurs centaines de visites. C’était magique!

Dix ans plus tard, c’est toujours magique à mes yeux. Bien des gens dénigrent le Web, mais pour moi c’est une expérience presque totalement positive. Quand je pense aux milliers d’heures consacrées à taper et à retaper, au montage manuel des textes et des corrections, à remplir des enveloppes et des commandes... Maintenant, pour presque rien, je peux mettre en ligne un texte qui en quelques jours aura des milliers de lecteurs partout dans le monde, et restera disponible pour tous ceux à venir. À travers les années, nombre de ces lecteurs sont devenus des amis ou des collaborateurs.

Une fois mon site mis en ligne, j’ai envoyé par la poste aux six ou sept cent adresses accumulées pendant les précédentes décennies de correspondances ou de commandes de mes publications, un mot annonçant le site et précisant que c’était là ma dernière communication postale, que j’étais passé totalement à l’e-mail et au Web. Quel soulagement!

Entre temps, j’ai continué à naviguer sur le Web, découvrant et explorant d’innombrables sites de toutes sortes et de toutes qualités, tout en notant les adresses e-mail des gens ou des organisations qui seraient, à mes yeux, susceptibles de s’intéresser à mon site. Je me suis mis d’abord à la recherche de personnes semblant s’intéresser aux situationnistes. Puis, j’ai exploré tous les sites anarchistes que je pouvais trouver; certains de ces sites ayant des liens à d’autres sites anarchistes, lesquels, souvent, avaient leurs propres listes de liens... J’ai fait de même avec les diverses tendances ultragauchistes, puis je me suis aventuré dans des régions plus éclectiques — Food Not Bombs, Critical Mass, Amnesty International, groupes de soutien aux prisonniers, groupes anti-guerre, coopératives radicales, communautés alternatives, infoshops, groupes surréalistes, activistes écologistes, stations de radio pirate, presque n’importe quel site un peu radical en Europe de l’Est ou dans le Tiers-Monde, etc., etc. Une fois que j’ai accumulé un nombre significatif d’adresses e-mail dans ces catégories diverses, je leur ai envoyé l’annonce de mon nouveau site.

L’année suivante a été consacrée principalement à mettre en ligne toutes mes précédentes publications. Pour les textes de Public Secrets, déjà en format numérique, c’était facile. Pour les traductions de la Situationist International Anthology, le livre ayant été achevé en 1981, juste avant que le traitement de texte et la microédition soient rentrés dans l’usage courant, il m’a fallu les scanner et corriger les erreurs dans le résultat final. Cela a pris beaucoup de temps, mais cela m’a aussi permis, dans ce processus de faire de nombreuses révisions stylistiques, de sorte que la version en ligne était effectivement meilleure que la version originale du livre. Toutes ces traductions révisées et téléchargées, j’ai continué à les perfectionner, et j’ai également ajouté de nouveaux textes et nombre de notes. Ainsi, bien des années plus tard quand j’ai publié une édition révisée et augmentée du livre (2006), je n’ai eu qu’à copier les textes web, faire quelques petits réajustements de format, et c’était prêt pour l’imprimerie.

L’Internet m’a également facilité considérablement le processus de la traduction. En 1980-1981, quand je travaillais sur mon anthologie de l’I.S., j’ai consacré d’innombrables heures à taper mes ébauches de traduction, à les photocopier, à les envoyer à mes collaborateurs français, à attendre des semaines leurs réponses avec des centaines de notes (“Page 27, ligne 13, le mot A doit être remplacé par le mot B...”), et ainsi de suite pendant plus d’une année. Puis, il m’a fallu retaper le tout, le faire composer, corriger la composition, monter les corrections sur les galées de manière à éviter les discontinuités, couper et monter manuellement le montage de chaque page, etc., avant de l’envoyer à l’imprimerie. Maintenant, j’envoie mes ébauches à mes collaborateurs par e-mail et je reçois leurs corrections dans les un ou deux jours, et ceci jusqu’à ce que nous soyons arrivés à un accord presque total sur la meilleure formulation. C’est tellement plus rapide et plus agréable, et parce qu’il est plus facile d’ “affiner” le travail (“Devons-nous ajouter une virgule ici?”), le résultat final tend à être plus juste.

La plupart des traductions de mes écrits ont été faites ainsi, dans bien des cas par des gens dans d’autres pays qui n’avaient jamais vu mes livres, mais qui les avaient découverts sur mon site, et qui ont travaillé exclusivement à partir de ces versions en ligne. Dans le cas du français ou (à un moindre degré) de l’espagnol, je peux rapidement vérifier leur traduction. Dans le cas des autres langues de moi inconnues, je peux au moins répondre rapidement à toutes les questions des traducteurs. Puis, une fois qu’ils ont achevé leurs traductions et les ont mises sur leurs sites, je peux facilement les copier sur mon site (copie sauvegarde heureuse, car il arrive parfois que le site étranger disparaisse).

Après avoir mis en ligne tous mes écrits et toutes mes traductions, j’ai commencé à y mettre des écrits de Kenneth Rexroth. Avec les années c’est devenu un assez grand ensemble, et qui a fait connaître Rexroth à des milliers de gens partout dans le monde — la plupart n’en ayant jamais entendu parler avant de le découvrir sur mon site. Beaucoup de ses écrits étaient épuisés depuis longtemps, mais les Éditions “New Directions” et les autres propriétaires du copyright m’ont permis de télécharger également de généreux extraits des textes couramment disponibles. À la différence de nombre d’éditeurs, ils se sont rendu compte que cela augmentait les ventes, aussi contradictoire que cela puisse paraître. Des milliers d’ouvrages classiques sont maintenant en ligne sans que cela empêche les gens d’en acheter les exemplaires imprimés. Personne ne dit: “J’étais sur le point d’acheter les oeuvres de Shakespeare, mais maintenant qu’elles sont toutes en ligne...” Le Web est utile principalement comme ressource de références, où l’on peut vérifier un point particulier ou chercher un passage précis. Il n’est pas très propice à de longues lectures. Personne, ou presque, ne lit en ligne tout un livre (à moins qu’il ne soit épuisé et qu’il n’y ait d’autres alternatives). Mais plus les écrits d’un auteur sont en ligne, plus il est probable que de nouveaux lecteurs le découvrent. J’ai recommandé Rexroth pendant des décennies, et j’ai réussi à convertir bon nombre de mes amis et d’autres gens ça et là, mais bien plus de gens encore l’ont découvert grâce à  mon site web. Une fois que les gens peuvent le lire aisément sur les sujets qui les intéressent, ils ont tendance à feuilleter ses autres écrits, et certains d’entre eux finissent par devenir des rexrothiens enthousiastes comme moi, qui achètent ses livres, les citent, les recommandent, en écrivent des compte-rendus, se procurent des exemplaires supplémentaires pour les offrir, les traduisent, etc. Bien sûr, la plupart des gens ne suivent pas cette trajectoire; mais ceux-là n’auraient de toutes façons jamais acheté ces livres, qu’ils soient en ligne ou non.

Parfois je donne un coup de fouet à ces textes en les annonçant par des courriels ou des posts sur le Web. (“Aficionados de jazz: Cela peut vous intéresser d’apprendre que plusieurs des essais provocants de Kenneth Rexroth sur le jazz se trouvent maintenant sur...”) Mais l’effet principal à long terme vient des moteurs de recherche, qui peuvent conduire par hasard à toutes sortes de découvertes heureuses — quelqu’un cherche le nom d’un auteur et il tombe sur un essai de Rexroth qui cite ce nom, bien que l’essai traite d’un sujet tout autre.

En plus du matériel de Rexroth, j’ai téléchargé une sélection éclectique de textes radicaux classiques (Marx, Brecht, Korsch, Clarence Darrow, Paul Goodman, Gary Snyder, etc.). Et bien sûr j’ai continué à ajouter mes nouveaux textes et mes nouvelles traductions. Sauf pour quelques tracts destinés à une diffusion locale, je n’ai même pas pris la peine d’imprimer la plupart de ces nouveaux textes. Le Web les a fait connaître bien plus largement, et dans bien des cas une publication imprimée en aurait été de toute façon irréaliste. Par exemple, ma liste de lectures recommandées, Portes des vastes domaines, est une des sections les plus consultées de mon site, mais on aurait du mal à imaginer l’édition d’une telle liste. On peut dire la même chose à propos des sélections de ma correspondance (Réponses Rapides). D’autres textes, comme les chroniques de Rexroth ou son guide du camping de 1939, ont un certain intérêt historique, mais auraient peu de chance d’être édités de nos jours. Je considère Josef Weber comme un des théoriciens dialectiques les plus brillants que j’ai jamais lu, mais comme la plupart de ses articles sont assez longs, semblent un peu “vieillis” et sont à quelques égards un peu excentriques, il est peu probable qu’ils soient réimprimés dans un avenir prévisible. Et cependant il m’a été facile de mettre tous ces textes en ligne.

Mon site fait aussi fonction de référence utile tant pour moi-même que pour les autres. Comme tout y est en format numérique, on peut aisément y faire des recherches, copier, réimprimer, faire suivre, réviser ou mettre à jour, et comme tout est en ligne, il m’est accessible partout où je vais — que ce soit dans une autre ville ou un autre pays, je peux néanmoins montrer immédiatement à quelqu’un, disons, un essai de Rexroth sur tel auteur ou tel sujet que nous discutons.

Bien sûr, il y a de temps à autre des problèmes techniques. Il est frustrant d’attendre pendant une panne de serveur ou une coupure de courant, et si votre ordinateur tombe en panne cela peut être un véritable cauchemar si vous n’avez pas fait des copies de sauvegarde. Mais ces sortes d’interruptions semblent arriver de plus en plus rarement ces dernières années. Et en tout cas, c’est bien plus facile de récupérer une copie mise en réserve ou téléchargée que si vous avez perdu le seul exemplaire d’un manuscrit en cours.

Bien qu’aucunement “anti-tech”, j’ai attendu généralement d’en avoir un besoin concret avant de prendre la peine d’apprendre et d’appliquer de nouvelles techniques. À l’exception de quelques reproductions de comics ou de tracts, mon site consiste exclusivement en textes, et la forme en est très simple. J’apprécie les blogs — j’en lis beaucoup régulièrement — mais je n’ai pas eu envie d’en créer moi-même ou d’établir un système RSS [“RSS feed”], parce que d’habitude je n’ajoute que quelques textes par mois. Les lecteurs peuvent toujours voir ce qui a été ajouté depuis leur dernière visite en allant à la page What’s New. Dans le cas rare où il peut y avoir urgence, je peux rapidement joindre plusieurs milliers de gens par e-mail et des forums Internet.

Quand j’ai commencé, je n’avais pas de moteur de recherche pour mon site, et je n’avais pas assez d’expérience pour en trouver ou installer un. J’ai donc créé un Index du site comme on trouve dans les livres. C’est le seul index de ce genre que j’ai vu sur le Web. Il m’a pris beaucoup de temps à préparer, et je doute que je prendrais la peine de le faire encore, maintenant que j’ai un moteur de recherche pour mon site. Mais cet Index au moins a-t-il l’avantage de permettre aux lecteurs de parcourir les sujets comme on fait avec l’index d’un livre, leur donnant ainsi une vue d’ensemble de ce qui est là et peut-être aussi les amenant à tomber sur d’autres sujets qui peuvent les intéresser. Aussi j’ai continué à le mettre à jour.

Au début, le site avait environ 30 pages. Maintenant il en compte plus de 600. Bien qu’il n’ait jamais atteint à une popularité au niveau des mass media — du genre qui attire des centaines de milliers de visites dans une seule journée parce qu’il touche un sujet très à la mode — il a été bien plus fréquenté que je ne l’avais espéré ou attendu. Pendant ces dix premières années il y a eu plus de 2 000 000 de visiteurs différents et plus de 5 000 000 de visites aux diverses pages du site. (Cela ne comprend pas le site miroir, qui a également reçu plusieurs millions de visites.) La page d’accueil a reçu naturellement le plus grand nombre de visites (380 000). Quelques autres pages ont approché ou dépassé la barre des 100 000. Chacune des “top 100” dépasse 10 000, et même les pages les moins visitées ont presque toutes reçu plus de mille visites.

Selon Google Analytics (un service gratuit que j’utilise depuis juin 2006), pendant les 26 derniers mois le site a reçu 1 554 004 visites de page par 751 093 personnes de 218 pays différents. La part du lion est naturellement celle des principaux pays industrialisés (États-Unis 45%, Europe 30%), mais un nombre respectable de visites viennent aussi du Tiers-Monde (19 040 de l’Afrique, par exemple) dont on peut affirmer sans trop s’avancer que les visiteurs n’auraient eu aucun accès réel à ces textes en dehors du Web.

Il faut reconnaître que beaucoup de ces visiteurs n’y sont entrés en passant que quelques secondes, pour en sortir quand ils ont découvert que ce n’était pas leur tasse de thé; et bien d’autres probablement n’ont fait qu’en parcourir rapidement un ou deux articles. Le nombre total des visiteurs de mon site représente tout de même plus de cent fois celui des lecteurs de toutes mes publications imprimées. Il n’est pas déraisonnable de croire qu’au moins un certain pourcentage de ces visiteurs ont lu les textes avec intérêt et attention. En tout cas, plusieurs milliers d’entre eux ont trouvé bon de mettre des liens à ces textes, ce qui mène à un nombre toujours croissant de nouveaux lecteurs.

D’ailleurs, tous ceux qui ont créé des liens l’ont fait de leur propre initiative — je n’ai jamais demandé de liens ni accepté d’offres d’ “échange”. Je n’ai même pas de “Page de Liens”. Il y a bon nombre de liens sur mon site, mais la plupart mènent à des textes directement en rapport avec tel ou tel sujet abordé dans une de mes pages. Il me semble plus utile d’attirer l’attention sur quelques pages web particulières dans un contexte particulier, que de présenter une grande liste de tous les sites présentant un peu d’intérêt. Par exemple, dans ma Bibliographie situationniste je n’ai mis de liens qu’à trois sites “situ”, parce qu’ils comprennent la quasi-totalité des textes situationnistes en anglais sur le Web ainsi que des liens à la plupart des autres sites situationnistes ou soi-disant situationnistes partout dans le monde. De la même façon, le seul site ultragauchiste que j’ai recommandé nommément comprend des liens à plusieurs des principaux autres sites ultragauchistes (communistes des conseils, marxistes non-bolchéviques, etc.). En cliquant sur les liens de ces sites-là, vous pouvez trouver beaucoup d’autres sites ultragauchistes, ainsi que certains des sites anarchistes les plus notables... Et bien sûr, il est également facile à trouver des pages web sur n’importe quel sujet au moyen de Google, Wikipédia, etc.

Au milieu de cette abondance d’information et de contacts, il importe de se rappeler les limites de ce média. L’Internet est très utile pour de brefs textes et de brèves communications, particulièrement quand il s’agit d’être à jour (informations, annonces, maillage de réseau, projets en cours) ou pour créer des archives de référence de documents importants. Il n’est pas le lieu favorable à une réflexion sérieuse. Il est ridicule d’imaginer pouvoir tirer quelque chose de Homère, Lao Tse, Gibbon, Montaigne, Murasaki, ou quoi que ce soit d’autre avec profondeur et subtilité, en cliquant sur une page web et en jetant un coup d’oeil sur quelques extraits “graphiquement améliorés”. Si vous voulez apprendre des choses sur le marxisme ou l’anarchisme ou les situationnistes, procurez-vous les livres de Marx, Kropotkine, Debord, etc., lisez-les attentivement, discutez-les, critiquez-les, essayez de mettre en pratique leurs aspects valables, puis relisez-les à la lumière de ces expériences. C’est seulement quand vous serez devenu un peu familier avec eux, que cela aura un sens de chercher sur le Web d’autres textes d’eux, ou sur eux, ou de rechercher d’autres gens partageant votre intérêt.

L’Internet partage évidemment quelques-uns des traits aliénants des autres médias, dans la mesure où il habitue les gens à la consommation passive des textes, des images, des informations, de la propagande, des “soundbites” à sensation, des mélodrames émotionnellement manipulateurs, etc. Mais il se distingue énormément des médias unilatéraux comme la radio, la télévision et le cinéma en ce qu’il facilite en même temps l’interaction et la participation. La médiocrité des millions de blogs et de sites web ne devrait pas nous cacher le fait que leur existence même introduit une communication populaire horizontale qui aurait été inconcevable dans le monde “de haut en bas” dominé par la télévision d’il y a vingt ou trente ans. Les gens n’avaient alors aucun moyen de répondre aux médias, encore moins de rivaliser avec eux. Vous pouviez parler avec quelques amis, écrire un tract ou une brochure qui pouvaient être lus par quelques centaines des gens, écrire une lettre à la rédaction en espérant qu’elle soit publiée, ou participer à une manifestation en espérant qu’elle soit mentionnée dans les informations, mais si elle ne l’était pas, le résultat était quasiment nul. Avec le Web, vous pouvez publier ou faire connaître tout ce que vous voulez et être lu immédiatement par des milliers de gens. Si ce que vous dites sonne juste, cela sera relayé à d’autres milliers, voire à des millions de gens. Les médias restent très puissants, mais ils sont de plus en plus défiés et mis sur la défensive.

L’Internet a déjà joué un rôle majeur en facilitant la communication et la collaboration immédiates, tranchant avec le secret et l’ignorance qui étaient autrefois la norme. Autrefois, nous n’apprenions un mensonge d’État que des années plus tard; maintenant il peut être révélé à des millions de gens dans les un ou deux jours. Par exemple, quand la version falsifiée de “l’Incident du Golfe de Tonkin” fut finalement dévoilée publiquement, c’était trop tard — elle avait déjà servi de prétexte à “l’escalade” de la guerre du Vietnam. Si l’actuel gouvernement américain tentait de fabriquer un incident semblable pour servir de prétexte à une invasion de l’Iran, nous pouvons espérer que la vérité se répandrait partout assez rapidement pour que la crédibilité gouvernementale en soit immédiatement ébranlée.

De même, bien qu’autrefois nous n’apprenions un mouvement de révolte qu’après sa défaite, nous pouvons maintenant le découvrir au moment même où il se déroule, et même dans certains cas intervenir, au moins le faire savoir ou organiser un soutien international. Nous avons également vu bien des mouvements récents, depuis Seattle 1999 à la France en 2006, organiser ou coordonner leurs actions en utilisant les toutes dernières technologies de communication. Par contraste, notons qu’une des raisons les plus importantes de l’échec de la révolte de Mai 1968 était l’isolement des usines les unes par rapport aux autres. Les travailleurs avaient occupé presque toutes les usines du pays, mais les bureaucrates syndicaux (sous prétexte de se protéger contre des “provocateurs de l’extérieur”) ont veillé à ce que les portes des usines restent fermées, bloquant ainsi toute communication venant des radicaux du dehors ou d’autres usines. Imaginez comment les choses auraient pu se passer si beaucoup de gens dans les usines et à l’extérieur avaient eu des téléphones portables, ou s’ils avaient pu accéder à des sites ou des forums internet avec les dernières informations et les derniers débats, de manière à pouvoir se concerter directement et apprendre ce qui se passait réellement ailleurs. L’Internet et les autres technologies de communication modernes ne peuvent remplacer l’action stratégique intelligente, mais ils peuvent être des instruments très utiles. Cela dépend de l’usage que nous en faisons.

* * *

Comme je l’ai mentionné ci-dessus, depuis le début j’ai envoyé des annonces concernant mon site à de nombreuses adresses courriel. La plupart de ces adresses n’ont reçu qu’un seul message, mais j’ai continué à envoyer des annonces de mises à jour de mon site à des gens qui se sont “abonnés” explicitement ou qui semblaient s’y intéresser particulièrement (à en juger par leur correspondance ou le fait qu’ils aient mis des liens à mon site). Si vous recevez de telles annonces et ne voulez pas continuer, dites-le-moi.

En fait, j’ai plusieurs sortes d’ “abonnements”:

1. Ma liste “Principale” est une grande liste générale actuellement d’environ 2000 adresses auxquelles j’envoie les mises à jour de mon site (à peu près une fois par mois) ainsi que d’autres messages occasionnels, tels que de brefs commentaires sur les actualités.

2. Ma liste “Principale-2” comprend des contacts politiques auxquels j’envoie des communications plus ou moins “politiques”, mais non pas des annonces d’un caractère plus littéraire ou culturel (par exemple, sur des poèmes ou des essais de Rexroth).

3. Inversement, j’ai une liste “Rexroth-non-Principale” des gens qui ont un intérêt littéraire pour les écrits et les traductions de Rexroth, mais qui ne seraient pas intéressés par une réflexion politique radicale sur la société. (Je ne fais que le supputer, d’après leurs e-mails ou leurs sites web — parfois, bien sûr, il s’avère qu’une personne “littéraire” s’intéresse tout à fait aux problèmes de critique sociale, et vice versa.

4. Puis, il y a une liste d’ “Amis choisis” auxquels j’envoie des choses plus légères et diverses (par exemple, un lien des comics amusants, ou à une belle interprétation musicale sur YouTube, ou à un documentaire intéressant sur une jeune femme grand maître des échecs).

5. Enfin, il y a diverses catégories de mes amis de la région de San Francisco auxquels j’envoie des annonces d’événements locaux (fêtes, concerts, boeufs folkloriques, groupes de discussion, événements politiques, évènements zen, etc.).

Vous pouvez librement vous abonner ou vous désabonner à n’importe laquelle de ces listes.

Dites-moi aussi si vous trouvez des erreurs dans n’importe lesquels des textes sur ce site (ne serait-ce qu’une coquille mineure) ou si vous y rencontrez des problèmes, ou si vous avez des suggestions pour l’améliorer.

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Je voudrais profiter de cette occasion pour exprimer mes remerciements pour toutes les réponses appréciatives que j’ai reçues toutes ces années. Il y en a eu tant qui étaient si encourageantes de tant de façons différentes que je ne saurais par où commencer pour vous en donner une idée. Deux exemples pris au hasard: “Merci d’être ‘une ressource publique’ et une lumière dans un temps de grandes ténèbres.” “J’aime bien le site Secrets Publics. En fait, à présent, je remets à plus tard mon travail pour lire votre site du début à la fin!” Enfin, voici une des réponses parmi les plus émouvantes:

Je viens de découvrir votre site web, et j’ai cru bon de vous envoyer un e-mail de remerciement. J’ai lu vos livres pendant que j’étais en prison — sans doute en avez-vous donné des exemplaires au projet “Livres pour les prisonniers” mené par la librairie Bound Together Books. Public Secrets est certainement un des meilleurs livres que j’ai lus pendant que j’étais incarcéré, et il m’a donné beaucoup d’espoir. Maintenant je suis hors de prison, en liberté conditionnelle, ainsi ma capacité à m’engager dans des projets radicaux est quelque peu limitée, bien que pas du tout impossible. J’ai produit un fanzine pendant que j’étais en prison, je travaille actuellement à un nouveau numéro (à sortir en hiver), et j’espère trouver d’autres choses dans lesquelles je pourrais m’impliquer — des choses qui ne m’attireraient pas trop d’ennuis mais qui me “secoueront” (et d’autres aussi, j’espère) hors de la consommation passive. Je vous remercie encore et je vous souhaite tout le meilleur. [Septembre 2006]

Je suis heureux de dire que ce jeune homme a réussi à éviter “les ennuis”, et qu’il vient d’épouser sa copine de longue date. Je leur souhaite le meilleur. Et à vous aussi.

KEN KNABB
Août 2008

 


Version française de Ten Years on the Web. Traduit de l’américain par Ken Knabb et Hélène Fleury.

Anti-copyright.


[Autres textes en français]

 

  


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