Opinions choisies sur le BPS

(Ébauche de traduction)



“Je vous ai fait [implicitement] un compliment: j’ai présumé que vous voulez dire ce que vous disez.”

—Nero Wolfe
[= personnage des romans policiers de Rex Stout]

 

Opinions de :

David Jacobs et Chris Winks (ex-Point-Blank)
Anonyme (Nouvelle Angleterre)
Michael Bradley et Michel Prigent
Yoshiharu Hashimoto
Isaac Cronin
Michel Prigent
Greil Marcus
International Correspondance (Hong Kong)
Bill Brown (Not Bored)
Grant Emison
Morgan Gibson
Trevor Carles
Nelson Foster
Left Bank Books
John Zerzan
Unru Lee
John Zerzan
Aufheben
Eugenia Lovelace
Fifth Estate
 


Bien que la production théorique de l’Axe knabbiste ne représente que très peu sur le plan de la présentation conceptuelle, elle a atteint une certaine prééminence au sein du mouvement situationniste américain en vertu de sa seule prolifération, de sa capacité à maintenir au moins l’apparence d’un projet toujours en cours. [...] Dans Double-Réflexion, la “théorie” paraît comme métathéorie, comme, au sens restreint du terme, une théorie de la théorie et une théorisation de la théorisation. Ce rétrécissement intentionnel du champ de la recherche critique marque un recul sur le plan historique de l’analyse. [...] Les entreprises “critiques” du Bureau des Secrets Publics et de ses alliés mènent au grand projet d’une “Phénoménologie (sic) de l’aspect subjectif de l’activité pratique-critique”. [...] Cette banalisation de la théorie apparaît non seulement dans la parodie rudimentaire du système hégélien de la part de Knabb, mais aussi dans sa psychologisation simpliste de “l’activité pratique-critique”. Dans le cosmos knabbiste, qui est étonnamment imperméable aux changements historiques, le théoricien devient le “sujet d’expériences” qui se développe en permanence à travers une suite de “moments” subjectifs, pour arriver finalement au but ultime de “réalisation”. Ce développement, bien que irrégulier, n’est guère dialectique: malgré son mimétisme hégélien, Knabb n’essaie pas même une construction qui serait parallèle à celle de la Phénoménologie de Hegel. On ne trouve pas dans sa pseudo-phénoménologie l’interprétation du monde comme il apparaît au sujet; il n’y a aucun mouvement qui serait analogue à la progression de la conscience naïve de la certitude-du-sens vers la compréhension, en passant par la perception. [...] Dans son affiche Les aveugles et l’éléphant, Knabb veut lui-même jouer le rôle de conservateur du mouvement situationniste; comme personne en dehors de lui-même et de ses associés n’est capable d’interpréter le projet situationniste, Knabb se charge de la tâche d’expliquer l’I.S. et de traduire ses textes. [...] Ce n’était évidemment pas par hasard que le groupe Point-Blank s’avérait une cible prioritaire du mépris des knabbistes: nous, ainsi que plus tard Diversion [= revue et étiquette publique de Jon Horelick], représentions la menace la plus formidable à leurs ambitions hégémoniques. [...] Si nous reconnaissons l’échec de Point-Blank, ce n’est certainement pas en donnant raison à nos anciens antagonistes. Nos intérêts présents sont en dehors du mouvement situationniste.

—David Jacobs et Chris Winks, At Dusk: The Situationist
Movement in Historical Perspective (Berkeley, août 1975)

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Le fait qu’ils donnent leurs noms publiquement, est vraisemblablement un moyen pour démystifier l’activité, pour enseigner cette leçon élémentaire mais généralement peu reconnue que la théorie et la pratique sont le fait de vrais individus. En outre, leur auto-présentation publique à travers le temps fournit une sorte de “continuité”, des données qui pourraient être utilisées par d’autres étudiant et créant ainsi de l’activité et de la théorie situationnistes. [...] L’affiche “Avis à propos de la société dominante et de ceux qui la contestent” a découragé les lecteurs oisifs d’écrire des lettres inconséquentes aux signataires de celle-ci, en les encourageant plutôt à leur démontrer leur accord en réalisant leurs propres actions publics. [...] Ils se sont attelés à une tâche difficile, en s'attaquant à la manifestation d’un problème central. C’est-à-dire que, dans la mesure où un rebelle parvient à obtenir des succès provisoires, il y aura d’autres gens qui, en se réjouissant de ces réussites, risqueront de s’en satisfaire relativement et de se contenter d’attendre (toujours de la part des autres) de nouveaux succès du même genre; tandis que les leaders, se rendant compte de la stérilité des suiveurs, auront tendance à voir dans le rapport hiérarchique qui se développe une justification du maintien de leur propre rôle. [...] Au début de ce siècle ce processus était si peu appréhendé que le mouvement révolutionnaire s’est décimé sans avoir pris les mesures organisationnelles anti-hiérarchiques les plus élémentaires. Or il est assez évident que la destruction de ce processus exige la destruction de tout spectacle. Ce qui est difficile d'accomplir pour sept individus en face de spectateurs qui ne sont que trop friands de spectacle. [...] Pour aborder ce problème, les signataires de l’ “Avis” utilisent une version enrichie de cette technique qui consiste à inviter les gens à se mettre de la partie: [...] tout en insultant le lecteur passif, ils lui offrent, peut-être intentionnellement, certains défauts qu'il pourrait être tenté d’attaquer publiquement.

—“Diverse Comments on the Public Activity of the Bay Area ‘Notice Comrades’ ”
(article dans une brochure anonyme, Nouvelle-Angleterre, juillet 1976)

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Cette brochure prône l’humanisation de la vie quotidienne et “la réalisation de la religion”. La super-réforme du détestable et du dégoûtant; l’appel pour [l’exigence de] la compassion et la magnanimité dans un monde répugnant [lit: de répugnance] n’est qu’une mauvaise blague. [...] Tout comme la révolte des esclaves (Spartacus) a choqué le monde de l’antiquité (premier siècle avant-J.C. en Italie), au point de produire un Messie adventiste millénaire (Jésus le Crapaud de Nazareth), et a collé Judas Iscariote avec la dette mauvaise [méchante] pour son “sacrifice”, le projet révolutionnaire féroce et méchant [sale/vilain] depuis les années soixante suscite [has been arousing] des cultes messianique semblable, dont celui de Knabb est un. La cruauté est moins nuisible que l’indulgence et la fausse compassion. Telle “compassion” envers des rôles et l’idéologie n’est que la complicité et la commisération. LA GUERRE DES CLASSES DOIT ÊTRE GUERRIÈRE. Nos ennemis savent bien [comment] exploiter notre humanité et notre sympathie. Mort à tous les exploiteurs, pas de clémence!

—Michael Bradley et Michel Prigent,
The Catalyst Times no. 0 (Londres, juillet 1977)

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Aucun anarchiste ne réfute ni jète une diatribe contre Proudhon, Bakounine, Kropotkine ou la C.N.T. espagnole comme vous l’avez fait, à moins qu’il soit un marxiste, un ultra-nationaliste et un libéral ignorant. [...] Vous savez, comme tout le monde, qu’ “à Rome il faut vivre comme les Romains”. Vous l’avez fait bien pauvrement, tout comme certains “anarchistes” japonais.

—Yoshiharu Hashimoto, “Réponse à un situationniste”
Libertaire (Tokyo, novembre 1977)

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L’hiérarchie des situationnistes américains était divisée selon les lignes traditionnelles: Au sommet était [lit: est assis] Knabb, le pape “malgré lui [à contrecoeur]”, tantôt encourageant “l’autonomie”, tantôt intervenant [s’interposant] avec bienveillance, suivant ce qui lui semblait être l’action qui maintiendrait mieux et la famille de rapports sociaux dépendants et un minimum de production publique. [...] Sa brochure Double-Réflexion est centrale [essentielle] pour la compréhension des situationnistes américains. Il y a concentré et solidifié leur image de la pratique révolutionnaire comme [une] série de techniques [acquirable] transmises hiérarchiquement au moyen d’un apprentissage dirigé qui a créé une communauté avec ses propres critères de conduite et de jugement. [...] Son texte récent, La réalisation et la suppression de la religion, est un moment étonnamment conscient [intentionnel] de cette réformation superficielle, qui rejette ouvertement les déterminants objectifs de la lutte anti-étatique — allant jusqu’au point d’adopter le point de vue du spectateur éclairé, pour mieux lui attirer dans le [son] camp. [...] Il ménage [lit: caresse doucement] ces gens qui ont eu le bon sens d’abandonner [ignore] la société pour aller ailleurs tout seul [...] tout en laissant ouvert pour lui-même le rôle de “théoricien” au cas où ces gens chercheraient quelques conseils sur le contexte social de leurs luttes. Nous qui connaissons Knabb personnellement pouvons reconnaître que chaque fois qu’il élargit sa conception [de ce qui constitue] des luttes sérieuses, cela se conforme de plus en plus étroitement à sa propre vie [étroite] et à ses propres préoccupations étroites. Il ne peut jamais abandonner les tactiques manipulatrices qu’il prétend déplorer, parce que sous son extérieur humble gît [comme contrepartie/autre face] une arrogance insondable basée sur une croyance en une vérité absolue: lui-même.

—Isaac Cronin, “The American Situationists: 1972-77” (Berkeley, février 1978)

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La publication récente de Ken Knabb intitulée “Situationist International Anthology” exige quelques mots critiques pour remettre à sa place ce con prétentieux. Mais ce qui frappe surtout quand on examine cette anthologie, c’est la manière dont elle est mise au point. Le lecteur anglophone ne peut lire que ce que Knabb a choisi. En le faisant, Knabb a mis son propre marque [cachet/sceau] sur cette anthologie, la concordant à ses perspectives idéologiques. Ce n’est qu’une knabbisation. Un jour quand l’intégrale de la revue Internationale situationniste est rendu disponible en anglais, précisément comme elle est en français, ni plus ni moins, tout le monde pourra constater que l’anthologie de Knabb n’est qu’une pauvre traduction des textes originaux, aujourd’hui elle n’est qu’un fatras ennuyant dans les mains de cet éditeur. [...] Ce que ce Saint oublie de dire à ses lecteurs, c’est ses propres contradictions, ses propres erreurs, sa propre confusion, en fait sa propre stupidité qu’il a distribué dans de nombreuses néo-brochures pendant plus que dix ans. [...] N’importe qui possédé d’un peu perspicacité critique peut voir que Knabb est un con et un bêcheur berkeleyan. Voilà quelques exemples de cette knabberie, en fait tous auraient pû être inclus dans son/ses Blind Men and the Elephant [Aveugles et l’éléphant]. Il est honteux de sa part d’avoir tiré le rideau californien sur [lit: balayer sous la carpette] toute cette fausse conscience, il ne nous reste donc rien que de couper l’herbe sous ses pieds d’éditeur [lit: retirer la carpette d’en dessous de ses pieds]. Dans la brochure La réalisation et la suppression de la religion, éditée en 1977, Knabb allait jusqu’à dire: “Quand les situationnistes traitent de la religion, ce n’est généralement que sous ses aspects les plus superficiels et les plus spectaculaires”, voilà un mensonge, une [de la?] pure foutaise [fouterie]. Cet étudiant de la révolution, comment peut-il [oser] dire de telles choses tout en incluant par exemple le texte de Vaneigem, “Banalités de base”, qui traite largement de Dieu, de la religion et de l’aliénation moderne. [...] Le révérend Knabb aurait dû peut-être aller à Jonestown (Guyane), le massacre orchestré par cet autre prêtre-salopard nommé Jones a en effet contradit la manie interventionnelle de Knabb, c’était une autre ironie de l’histoire et il a tombé sur la tête épaisse [avoir un thick head = être andouille/bas-de-plafond] de Knabb! Et malgré tout il continue à distribuer son texte merveilleux sur la religion. Et bien sûr tout cela n’est pas mentionné dans son anthologie, c’est dégoûtant. Knabb doit essayer d’intervenir, armé de sa “nouvelle Bible”, à Salt Lake City [base des Mormons] ou bien sur le terrain de tous les revivalistes chrétiens, y compris le répugnant Billy Graham. [...] Quelques années plus tôt il est allé jusqu’à admettre dans son “Bureau of Public Secrets” (une sorte de lavette) qu’il avait été un obsédé [fétichiste] des livres [eu un fétichisme pour les livres] maintenant enfin il a un autre fétiche “son anthologie avec son nom sur la couverture” et il est même connu dans la Bibliothèque du Congrès [équivaut à la Bibliothèque Nationale, d’où on reçoit un numéro bibliographique qui favorise la diffusion en bibliothèques], pourquoi pas en envoyer un exemplaire à Reagan?! [...] M. Knabb dans sa revue dite Ligue de Misère secrète, nous a donné encore plus une perle à en rire, et sacré nom nous avons ri, il a envoyé un télégramme à lui-même, aujourd’hui il pourrait faire la même chose pour se féliciter de sa nouvelle entreprise [réussite]. C’est pitoyable. [...] Lors de la chute du dernier chah d’Iran, notre Saint a publié une affiche intitulée “La brèche en Iran” (sans doute un lapsus!). N’importe qui possédé d’un peu de bon sens aurait su ce qui allait arriver dans cette partie du monde, était un cauchemar. [...] Knabb a en fait pris son schéma tout prêt de sa valise et s’est mis à l’appliquer à l’Iran, le résultat était un désastre qui n’a pas aider la critique de la religion dans ce pays-là.

—Michel Prigent, “Biography of the Anthologer” (brochure, London, avril 1982)

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Si l’Internationale Situationniste est connue aux États-Unis [ce qu’il ne l’est à peine], c’est principalement comme un petit groupe de provocateurs dadaistes qui avait quelque chose à voir avec la révolte de mai 1968 en France. Le nom a paru ça et là dans des discussions de punk parce que Malcolm McLaren, l’impresario des Sex Pistols, était censé d’avoir quelque rapport avec les situationnistes. [...] On disait que les situationnistes, ce sont des gens un peu comme les Yippies. Ou les Motherfuckers de New York. [...] Ou bien l’École de Francfort [...], qui avait au moins à peu près les mêmes idées, non? La Situationist International Anthology — résultat de plusieurs années de travail par Ken Knabb, un étudiant américain du groupe — fait comprendre que l’Internationale Situationniste était quelque chose de bien plus intéressant: peut-être la bande d’extrémistes la plus lucide et la plus aventureuse du dernier quart de siècle [= depuis 25 ans]. [...] C’est vraiment stimulant de lire ce livre — de confronter un groupe qui était déterminé à se faire des ennemis, à brûler des ponts, à se priver [refuser] des récompenses de la célébrité, à trouver et à maintenir sa propre voix dans un monde où, semblait-il, toutes les autres voix de résistance culturelle ou politique s’étaient compromises ou bien étaient tellement dépourvues de conscience qu’elles ne se rendaient même pas compte de leurs compromissions. [...] La Situationist International Anthology ne présente pas le texte intégral de la revue situationniste, et elle n’a pas d’illustrations. Mais les traductions sont claires et lisibles — parfois trop littérales, parfois brilliantes [inspirées]. Complètement auto-éditée, l’anthologie est mieux faite [composée/construite/présentée] que la plupart des livres édités [aujourd’hui] par les maisons commerciales. Il n’y a presque pas de coquilles; l’index est bien fait, il y a des annotations brèves mais utiles, et la conception [plan visuel], la reliure et l’impression sont toutes excellentes. C’est-à-dire que, par contraste avec la plupart des autres éditeurs de textes situationnistes en anglais, Knabb a pris ces textes au sérieux et les a permis de parler avec à peu près leur autorité originelle. [...] En comparaison de l’écriture dans la Situationist International Anthology, la quasi-totalité de la pensée politique et esthétique actuelle semble lâche, auto-protectrice [?], carriériste et complaisante. Ce livre est un moyen vers/pour une reprise de l’ambition.

—Greil Marcus, Village Voice Literary Supplement (New York, mai 1982)

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En 1978, après avoir rendu visite aux “70” à Hong Kong, le situationniste américain Ken Knabb a écrit une critique du groupe intitulée “A Radical Group in Hong Kong”. [...] Malgré nos perspectives extrêmement différentes, nous croyons que la plupart de ses critiques sont bien fondées. Dans la belle tradition libertaire qui consiste à refouler les critiques et éviter toute auto-critique (ce qui doit faire se retourner dans sa tombe Bakounine), les “70” n’ont jamais cru qu’il vaudrait la peine d’y répondre. (Certains de leurs connaissances étrangères leur ont même écrit pour exprimer leur désapprobation de l’intervention de Knabb!)

—International Correspondence, “Open Letter on Our Split from “Undercurrents/Minus””
(Hong Kong, juillet 1982)

[Lettre ouverte sur notre scission de “Undercurrents/Minus” [revues éditées par les 70]]

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Toute personne qui n’est pas capable de lire le français et qui s’intéresse maintenant à l’Internationale Situationniste est redevable [en quelque sorte] à Ken Knabb. C’est lui, presque tout seul, qui a introduit les écrits de l’I.S. aux États-Unis. (Bien entendu, Leaving the Twentieth Century: The Incomplete Work of the SI, de Christopher Gray, les avait introduits en Grande-Bretagne en 1974. Mais le livre de Gray n’était pas bien traduit, et sa sélection de textes ne constituait pas un échantillon représentatif; en plus, ce n’était pas bien diffusé aux États-Unis.) [...] Je regrette d’avoir dire que les autres ouvrages de Knabb ne sont en général que des conneries. [...] Éloge de Kenneth Rexroth a l’apparence d’une revue de poésie, mais son style fait penser à celui d’une thèse de doctorat, ce qui est parmi les choses les moins poétiques [qui existent]. [...] Le livre de Knabb veut faire connaître la vérité sur Rexroth — qu’il est sous-estimé et que plus de ses livres doivent être réédités — mais il entend également le critiquer, et cela précisément sur les points que l’auraient fait les situationnistes [lit: à partir des bases/raisons que les situationnistes avaient fait les leurs]. D’après Knabb, Rexroth ne comprenait pas le spectacle, et ainsi il n’a pas compris la révolte de mai 1968 en France. Mais on s’en fiche s’il l’ait comprise ou non. [...] La deuxième connerie que Knabb m’a envoyée, c’était un petit texte intitulé “La guerre et le spectacle”, qu’il a écrit, édité et diffusé en avril 1991. (Pourquoi si tard, Ken? La guerre au sol [ground war] est déjà achevé le 28 février.) Il commence avec cette phrase: “L’orchestration de la guerre du Golfe fut une démonstration éclatante de ce que les situationnistes appellent le spectacle — le développement de la société moderne parvenue au stade où les images dominent la vie”, ce qui doit être [= est certainement] une des phrases les plus rebutantes de tous les temps. Pas seulement est le ton approprié pour les écoliers, et la définition du “spectacle” simpliste, mais l’idée semble être que les événements récents démontrent que les situationnistes avaient raison. [...] Repose en paix, Ken: les situationnistes avaient bien raison. Et toi aussi, dans un sens, quand tu écris: “Il s’agit de saper les fondements {du rapport spectacle-spectateur} — de combattre le conditionnement qui avant tout prédispose les gens aux manipulations médiatiques.” Mais comment?

—Bill Brown, “Ken Knabb, R.I.P.” [qu’il repose en paix], in
Not Bored no. 19 (Rhode Island, juin 1991)

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Bien des gauchistes [...] se méfient de l’interaction avec le monde extérieur de peur qu’il corrompe la pureté de leurs moyens. Une de leurs plus grandes peurs, c’est que leurs activités et leurs croyances soient récupérées dans la structure du statu quo. L’article “La guerre et le spectacle”, [qu’on avait trouvé dans la revue Anarchy et] reproduit dans le présent numéro du Thistle, exemplifie ce souci, avec son avertissement que l’étincelle des protestations contre la guerre risque d’être étouffée par des mouvements politiques organisés qui prônent des choses “inutiles” [lit: hors de propos] telles que d’encourager les gens de s’inscrire pour voter. [...] Si nous renonçons la participation dans les organisations structurées et hiérarchisées, nous risquons de déformer nos persectives sur le monde et de déjouer nos tentatives de réaliser d’importantes changements progressistes.

—Grant Emison, The Thistle (Massachusetts, 28 août 1991)

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Ken Knabb parvient à l’essence de Rexroth à travers ses idées, en citant quelques poèmes mais surtout des extraits bien choisis de sa prose. Il communique tout aussi bien comment Rexroth parlait, sa façon de “badiner agréablement” avec des gens ou d’adopter un “mode théâtral ironique” pour “faire part de ses remarques sans trop d’emphase”. Oui, il était parfois exactement comme ça. [...] Avec beaucoup de perspicacité Knabb signale [examine/monte/établit] les rapports entre les principaux thèmes de Rexroth — érotisme, mysticisme et révolution — montrant comment Rexroth a constamment établi un lien entre ces sujets et bien d’autres tout aussi disparates et en apparence incongrus — civilisation et nature, érotisme et mathématique, rapports intimes et histoire universelle, contemplation visionnaire et fêtes d’anniversaires, rythme poètique et équitation, par exemple. Knabb est espécialement perspicace dans son analyse de la théorie et la pratique révolutionnaires de Rexroth, son anarchisme bouddhiste, son personnalisme communitaire, ses affinités avec Martin Buber. [...] Son principale critique de Rexroth porte sur l’insuffisance de ses conseils relatifs aux révoltes massives de la fin des années 60, quand Rexroth avait conclu que la liberté individuelle, la poésie, la chanson et les arts en général étaient plus efficaces pour la subversion de la société oppressive que ne l’était l’action sociale. Knabb soutient que même les arts de la révolte ont été récupérés dans le “barrage de spectacles” qui maintiennent le statu quo, thèse développée davantage [en plus de détail] dans sa Situationist International Anthology et [dans ses] autres publications. Rexroth aurait pû être heureux d’entendre des critiques si intelligentes, mais qui peut dire quelles auraient été ses réponses précises? La seule chose qui me laisse un peu mécontent [peu satisfait], c’est que le livre est trop court pour offrir des explications complètes des idées de Rexroth. [...] Comme Eliot Weinberger [un autre écrivain qui a loué Rexroth], Knabb pense que les écrits de Rexroth exige peu d’explications. Peut-être pas pour des gens comme eux, qui ont lu plus que la plupart des critiques littéraires. Mais autant que je sache, personne, dans le monde universitaire ou ailleurs, n’a lu autant que Rexroth. [Donc:] L’essentiel de beaucoup de ses allusions pourrait être clair, mais les processus de sa pensée imaginative ne se comprennent pas si facilement. Il nous faut plus d’explication de son oeuvre, pas moins.

—Morgan Gibson, Poetry Flash (Berkeley, janvier 1992)

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Jusqu’ici le développement de la critique radicale de la religion a été insuffisant, à l’exception de La réalisation et la suppression de la religion de Ken Knabb. N’allant jamais ou rarement au-delà d’un matérialisme vulgaire, le quelques contributions à cette critique qui existent ne parviennent presque jamais à la racine de la question. En s’attaquant à la forme de la religion, elles en oublient le contenu. Mais le fait que la religion a certaines caractéristiques, et qu’elle joue un certain rôle dans une forme sociale donnée, ne veut pas dire qu’elle soit limitée à celà. [...] La brochure de Knabb est la seule tentative dans le milieu radical de saisir ce qu’il y a dans la religion qui répond au [= trouve une résonance dans le] coeur humain. Affirmant qu’il faut “découvrir le contenu qui s’exprime dans les formes religieuses”, il critique le développement antérieur de la critique pour son échec à cet égard. [...] Sur le plan pratique et personnel, sa notion du projet révolutionnaire comme “foyer actuel de ce qui a du sens” prend la forme du “détournement affectif”. [...] Je comprends celà comme la théorie qui se pratique, comme une sorte de psychanalyse reichienne appliquée à soi-même. Il ne s’agit pas de “changer le monde en nous changeant nous-mêmes”; Knabb affirme explicitement que “toute “libération” individuelle est vouée à l’échec si elle n’a de liens avec la pratique historique”. Mais ses efforts pour parvenir à quelque “authenticité” sous “l’armure caractérielle” semblent avoir quelque chose de “mystique”; la lecture de son “Le Détournement affectif, une étude de cas” m’a rappelé du mystique chrétien espagnol, Saint Jean de la Crois, qui voulait “ne rien désirer pour désirer tout, ne rien aimer pour aimer tout”.

—Trevor Carles, “Notes on Religion”, in Lantern Waste no. 1
(Petersham, Australie, septembre 1992)

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J’ai bien aimé tes “Leçons fortes” — c’est vraiment excellent. Le manque d’analyse — ou pour le dire sans phrases, la pure naïveté — de l’oeuvre du Buddhist Peace Fellowship m’a rendu dingue récemment [has been driving...]. [...] Par hasard, j’ai parlé avec un membre du conseil d’administration du B.P.F. et je lui ai mentionné ton tract, sur quoi il m’a dit qu’il avait déjà organisé une réunion pour le discuter! [...] J’espère qu’il y aura une réponse substantielle.

—Nelson Foster (maître zen et co-fondateur du B.P.F.), novembre 1993

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Nous avons circulé ton dernier tract dans la ville et il a eu un grand retentissement. Un groupe bouddhiste était bien ébranlé. Ce groupe essaye, paraît-il, d’exclure les membres qui ont proposé une discussion de ton texte. Ces membres entachés [impurs/infectés] en ont également envoyé des copies à leurs associés à New York, ce qui y a créé un autre chahut.

—un travailleur de Left Bank Books (Seattle, mai 1994)

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Une des choses les plus frappantes de ce gros volume, l’oeuvre maitresse de Ken Knabb, c’est qu’il est si fermement enlisé dans le passé. Knabb est intelligent et il sait bien s’exprimer, mais il reste surtout un situationniste du plus orthodoxe. Le temps semble s’être arrêté pour lui depuis la dissolution de l’Internationale Situationniste en 1972. L’index de dix pages de Public Secrets contient environs 800 noms et sujets, et cependant je n’y trouve un seul qui ne date après les années 70, et principalement vers leur début. C’est en effet pendant cette décennie-là qu’ont été écrit la plupart des tracts et brochures de Knabb, qui constitue la moitié du livre.

Le reste de Public Secrets est principalement une ébauche, mesuré et sans jargon, d’une révolution politique qui inaugurait l’autogestion généralisée, basée sur le modèle des conseils ouvriers traditionnels. Dans un argument qui fait penser du Post-Scarcity Anarchism de Murray Bookchin (1971), Knabb prétend que nous avons maintenant le “développement matériel” qu’il faut pour une révolution égalitaire et écologique. Il ignore le fait que le cours de ce développement technologique a été l’incarnation matérielle de l’inégalité et la destruction de la nature, inséparable[s?] de la domination et la division sociales et politiques.

Comme d’autres prescriptions pour l’autogestion, celle de Knabb met l’accent sur le processus démocratique, tout en négligeant ce qui est géré. Celà revient à l’aliénation autogéré, parce qu’il s’agit du contrôle ouvrier d’essentiellement le même système fondamental que nous subissons actuellement, sauf, on espère, pour des excès comme la guerre, la famine et Kathie Lee Gifford. [##?]

Le paysage social ébauché par Knabb emploiera des “crédits” au lieu de l’argent, mais à part ça il ne serait pas qualitativement différent que ce qui existe maintenant, y compris l’expertise spécialisée et la “coordination de la production mondiale” informatisée.

À première vue, Public Secrets semble bien différent que la récente fulmination [polémique] de Bookchin, Social Anarchism versus Lifestyle Anarchism (1995). Présentant son conseillisme dans un style calme, doux et prudemment modeste, Knabb évite toute discussion substantielle de la pensée critique des 25 ans depuis le départ de l’I.S. Par contraste avec de “gentil ennemi de l’État”, Bookchin rage et pérore ad hominem, lançant des dénonciations détaillées des dégénérescences qu’il pense affligent le milieu anti-authoritaire. Cependant, sous les différences stylistiques ces deux auteurs sont unis [as one], élevant [tenant haut] le flambeau gauchiste du passé pour allumer la voie vers leur vision (sic) de l’avenir.

Ni l’un ni l’autre n’analyse vraiment le présent — sa magnitude d’appauvrissement [immiseration] psychique, l’incroyable misère de la culture post-moderne omniprésente [qui pénètre généralement], les raisons pour lesquelles le gauchisme a pratiquement disparu, les exigences vraiment pathologiques du techno-capital contemporain. Ils ne reconnaissent non plus les éléments de base [fondateurs] de notre situation cauchemardesque actuelle, y compris la division de travail, la culture symbolique, la domestication, le Progrès et l’industrialisation, parmi d’autres. Le livre de Knabb, comme celui de Bookchin, est en quelque sorte un chant du cygne, c’est une ode à une contestation limitée et en traîn de disparaître qui a un besoin urgent de se dépasser.

Public Secrets a l’air lucide et raisonnable, et il est présenté d’un ton efficace et modeste. Mais je suis deçu que son intelligence et sa sensibilité évidentes sont aveuglées aux exigences urgentes de la réalité actuelle. Comme les choses empirent [se détériorent] manifestement et dramatiquement, il semble que nous avons plus besoin d’approfondir la compréhension qu’il faut aller bien plus loin que nous n’avions pensé dans les années 60, plutôt que de présenter (ne fût-il d’une façon discrète et non pas sans éloquence) une recette tirée de notre passé idéologique.

—John Zerzan, Anarchy no. 43 (Missouri, printemps 1997)

Quand il s’agit de notre belle société moderne, je suis ce qu’on appelle un “personnage peu coopératif”, je suis paresseux-subversif, plutôt petit-malfaiteur syndicaliste qu’anarcho-syndicaliste. Je parierais que les gens de l’âge paléolithique, et avant, se sont la couler douce [avaient le filon] en comparaison de nous. Je n’ai donc aucune tendance d’être emballé [enthousiasmé] par des propositions d’une révolution sociale basée d’une manière optimiste sur l’héritage du développement matériel moderne. Cependant, le compte-rendu par Zerzan du nouveau livre de Knabb a donné une fausse impression de ses idées sur la révolution, idées qui ont en fait un certain intérêt.

D’après Zerzan, “Celà revient à l’aliénation autogéré, parce qu’il s’agit du contrôle ouvrier d’essentiellement le même système fondamental que nous subissons actuellement. (...) Le paysage social ébauché par Knabb emploiera des “crédits” au lieu de l’argent, mais à part ça il ne serait pas qualitativement différent que ce qui existe maintenant.” Mais en effet Knabb dit explicitement: “Le syndicalisme et le conseillisme traditionnels ont eu une trop grande tendance d’admettre la division de travail existante, comme si la vie dans une société post-révolutionnaire devrait continuer à tourner autour des travaux (et des lieux de travail) fixes. (...) Cependant, le but ultime n’est pas l’autogestion des entreprises existantes.” Partageant l’avis de Paul Goodman et d’autres, que la plupart du travail actuel est superflu ou pire, Knabb prévoit le dépérissement des positions de travail fixes par le dépassement de la plupart des métiers et la réorganisation de toute activité. L’économie monétaire-marchande doit être totalement abolie — il ne mâche pas ses mots à cet égard — et la semaine de “travail” pourrait être réduite à 10-15 heures. Encore plus important, quelle solution envisage-t-il pour les personnages peu coopératifs? Qu’ils soient laissés tranquilles! Bref, Zerzan minimise ou passe sous silence l’accent sur la transformation qualitative dans la société envisagée par Knabb, qui me semble assez différente que le système actuel.

Bien qu’il souligne la décentralisation et l’organisation petite et informelle, Knabb semble accepter une certaine quantité [degré/niveau] de centralisation régionnelle et même mondiale. Et il est optimiste sur l’automation et les possibilités de reconcevoir [redesign] et de rediriger les ordinateurs et d’autres technologies modernes. Mais il envisage que les gens garderont “l’il sur les experts jusqu’à ce que les connaissances nécessaires soient plus répandues our les techniques en question soient simplifiées ou dépassées”. Voilà quelque chose d’assez différente des relations socio-technocratiques du système présent. Il offre des idées sur comment tout le paysage technique pourrait être transformé immensément, y compris de dépérissement [élimination progressive] de beaucoup de technologies, la restauration [remise en vigueur] de larges régions sauvages, et le démantèlement [dépassement] rapide de l’industrie et de l’infrastructure de l’automobile. Tout cela mérite une critique plus sérieuse que ne l’ait fait Zerzan.

Enfin, on trouve dans Public Secrets une utile tentative de signaler des scénarios habituels dans les temps de révoltes; comment s’écroule l’illusion qu’ont des gens quant à leur impuissance à opposer le système; le contagion et les limites de la libération; comment il y a plus de possibilités mais moins de temps; des exemples de ce que l’on pourrait faire, ainsi que de ce que l’on doit éviter. Public Secrets vaut bien la peine à lire, et il mérite plus qu’un compte-rendu dédaigneux.

—Unru Lee (Oregon),
lettre reproduite in Anarchy no. 44 (automne 1997)

[Réponse de Zerzan, parue au même numéro:]

Ce n’est pas que je pense que Public Secrets soit totalement sans qualités, c’est qu’une frustration majeure reste suprême: le fait que son auteur, bien qu’il soit assez doué, reste si résolument dans le noir quant à la considérable approfondissement théorique qui a eu lieu depuis les dernières 25 ans. Voilà la raison pour mon impulsion dédaigneuse, ce qui le fait plus difficile de m’engager dans un compte-rendu plus long et plus favorable de ce livre qui couronne ses achèvements.

Mais même si mon compte-rendu est abrégé, je résiste le jugement de Lee qu’il “fausse” [le livre de] Knabb dans quelque façon fondamentale qu’il soit. Au contraire, Lee et Knabb, tous les deux, fournissent les matériaux pour résister cette accusation.

Knabb dit qu’il s’oppose à “la division de travail existante”, mais il embrace toutes les manifestations (et toutes les illusions) de cette division de travail. Il favorise le travail, la banque [opérations bancaires], des spécialisations, l’automation — et même les ordinateurs! Il semble vouloir l’Internet tout en oubliant qu’il incarne le niveau de l’existence aliénée le plus haut inventé jusqu’ici, y compris l’industrie minière, la fonte [métallurgique], la corvée [travail pénible/grosse besogne], la toxicité, des réseaux électriques nationaux, etc., etc. Il ne faut que la réflexion d’un instant pour reconnaître les niveaux de coercition, d’artificialité [manque de naturel] et d’éloignement de la nature qui se figent dans ces machines reluisantes!

Ce que je veux dire pour l’essentiel, c’est que la perspective de Knabb ne représente pas une rupture qualitative avec le monde où nous vivons. En fait, il n’aborde même pas [is not even close to] la genre de vision ou d’analyse dont nous avons besoin, parce que pour lui la production, le Progrès, le travail (sans parler leur base ultime, la division de travail) ne posent pas de problème. À mon avis, il ne peut y avoir aucune intégralité ni reconnexion avec la nature qui ne commence pas par un refus de ces catégories.

* * *

Ce livre [Public Secrets] éminemment agréable [facile] à lire comprend trois parties. La première, La joie de la révolution, est une simple (mais pas simpliste) esquisse de pourquoi et comment une société non-étatique et non-hiérarchique pourrait être possible. La deuxième partie, Confessions d’un gentil ennemi de l’État, est, comme l’implique le titre, une esquisse autobiographique — “en partie chronique politique, en partie auto-analyse, en partie simple nostalgie”. La dernière partie, et la plus extensive, est un recueil des anciennes publications de Knabb, dont la plupart sont naturellement écrit d’une perspective situationniste (et parfois sur des perspectives situationnistes).

John Zerzan l’a donné un compte-rendu assez désinvolte et dédaigneux dans la revue Anarchy: A Journal of Desire Armed. Bien qu’il reconnait que ce livre est “mesuré et sans jargon” et est écrit dans “un style calme, doux et prudemment modeste” — jugements avec qui je suis complètement d’accord — Zerzan le critique pour ce qu’il n’est pas, et non pour ce qu’il est. Ce qui me semble une forme de critique bien injuste. Il dit, par exemple, “Knabb est intelligent et il sait bien s’exprimer, mais il reste surtout un situationniste du plus orthodoxe.” Et alors? À ma connaissance Knabb n’a jamais prétendu de ne pas l’être. Une autre critique que fait Zerzan, c’est que dans l’index “je n’y trouve un seul [sujet] qui ne date après les années 70, et principalement vers leur début”. Je réponds encore: Et alors? Il me semble que la question importante est plutôt si ce qui est écrit soit juste [bien réfléchi] et informatif ou non. D’ailleurs, considérant que la plus grande partie du livre est une collection d’anciennes publications dont la plupart ont été écrit pendant les années 70, c’est à peine surprenant qu’il reflète certaines des perspectives de cette décennie-là.

Zerzan conclut: “Comme les choses empirent [se détériorent] manifestement et dramatiquement, il semble que nous avons plus besoin d’approfondir la compréhension qu’il faut aller bien plus loin que nous n’avions pensé dans les années 70, plutôt que de présenter (ne fût-il d’une façon discrète et non pas sans éloquence) une recette tirée de notre passé idéologique.” Mais pour faire cela ne faut-il pas que nous apprenions d’abord toute leçon que les années 70 pourraient nous enseigner? (Et qui sont ce “nous” et quelle est cette “pensée” monolithique “des années 70”?) J’ai trouvé les Confessions énormément évocatrices de certains aspects des années 70 — de certains choses que nous serions bien avisés de ne pas répéter (mais ni de l’oublier non plus), et d’autres choses qu’il pourrait être agréable de répéter. Knabb conclut cette section: “Si certains lecteurs me tiennent pour un égotiste pour m’être permis d’écrire sur ma vie relativement peu spectaculaire, j’espère que d’autres seront encouragés à réexaminer leurs propres expériences.” Je me trouve absolument dans la dernière catégorie.

Le numéro suivant d’Anarchy contient une lettre d’un lecteur qui dénonce le compte-rendu de Zerzan pour être trop négatif, et une réplique de Zerzan. Dans cette réplique Zerzan dit: “Ce que je veux dire pour l’essentiel, c’est que la perspective de Knabb ne représente pas une rupture qualitative avec le monde où nous vivons.” Précisément! — c’est bien pour cela qu’il vaut la peine de lire ce livre, parce qu’il offre des suggestions pour l’action ici et maintenant, plutôt que des belles promesses sur une société où nous aurions tous redevenus des chasseurs-cueilleurs.

Il y a néanmoins certains propos [domains/sujets], surtout dans La joie de la révolution, où je mettrais en question une certaine attitude de Knabb qu’on pourrait peut-être nommer optimisme. Par exemple, une des éventuelles “solutions” qu’il suggère pour les problèmes avec des “types violents”, c’est qu’ils “pourraient s’intégrer bien dans une région plus ‘bagarrée’ comme le Far West”. Mais supposons que cette région “bagarrée” se décide à élargir son territoire? Mais malgré de telles réserves, je recommande ce livre pour les gens qui sont bien disposés envers la notion d’une société non-hiérarchique et sans État, mais qui sont sceptiques et ne voient pas comment une telle société pourrait arriver effectivement. Ce livre comprend des bons conseils et la réfutation des objections courantes; et tout est écrit avec une rare combinaison de lisibilité, de logicalité et d’élan. (...)

—Eugenia Lovelace, in Red and Black no. 28 (Quaama, Australie, printemps 1998)

* * *

[L’article suivant commence avec quelques remarques sur l’I.S., en disant qu’une de ses meilleures contributions était la critique du militantisme...]

Public Secrets de Ken Knabb illustre la nature auto-obsédée du milieu situationniste des jours enivrants de mai 1968. (...)

En accord avec le refus du rôle du “militant” et de l’activisme compulsif journaleux, le livre de Knabb, en tant que récit de la “deuxième vague” de situationnistes aux États-Unis, est notable pour son manque de références aux réunions habituelles et à l’activisme permanent connus de beaucoup de nous. Par exemple, quand il a achevé l’édition de son Situationist International Anthology, Knabb s’est mis à l’escalade, au lieu de s’engager dans une autre lutte.

Cela nous fait penser d’une critique commune de la notion de subjectivité radicale de Vaneigem: qu’elle risque de dégénérer en individualisme bourgeois. Bien qu’elle était une attaque nécessaire contre la stérilité de l’attitude gauchiste typique à l’époque de la réapparition d’intérêt aux idées révolutionnaires, comment s’applique-t-elle pendant les temps où le mouvement et ses idées battent en retraite? Est-ce que Knabb était assommé après avoir achevé l’Anthology, ou est-ce qu’il n’y avait vraiment pas de luttes en cours autour de lui dans lesquelles il n’aurait pu participer utilement?

Le mouvement révolutionnaire est si petit aujourd’hui, et la menace du gauchisme est si diminuée, qu’il est facile de penser que la pendule du “plaisir” contre engagement doit retourner vers l’autre côté. Parfois, pour déclencher même les activités les plus modestes, il faut que tout le monde y pousse! (...)

[Ici l’article continue avec une discussion de Reich, du caractère, des ruptures situ, en tant qu’exemples d’un rétrécissement vers le personnel. Puis:]

Knabb a passé à travers du milieu pré-hippie et de l’anarchisme avant qu’il n’avait découvert les écrits de l’I.S. Après Knabb avait — dans ses propres mots — “devenu situationniste”, il et d’autres ont produit “De la misère en milieu hip” (1972), une analyse de ce qui était légitime dans le mouvement hippie ainsi que de certaines de ses limites profondes. (...) Cependant, ces textes datant du commencement des années 70, qui appliquaient la critique situationniste à des mouvements plus larges, donnent lieu vers le milieu de cette décennie [des années 70] à une “théorisation sur le processus de la théorisation” de plus en plus introvertie. Deux des textes les plus récents dans Public Secrets, “La joie de la révolution” et son autobiographie intéressante, “Confessions d’un gentil ennemi de l’État”, mettent de tels textes [= les “introvertis”] dans le contexte. La découverte par Knabb des textes de l’I.S. lui a fourni la théorie fondamentale à laquelle il a tenu, et qu’il a appliqué loyalement pour le reste de sa vie. Il y a eu peu de développement ultérieur des analyses originales de l’I.S., ni par Knabb ni par personne d’autre. Debord lui-même, après 1968, était plus concerné avec sa réputation qu’avec le développement d’une nouvelle théorie. Les suiveurs loyaux de l’I.S. semblaient vivre sur des gloires du passé; pour eux, avancer le projet authentique de l’I.S. n’était que d’en répéter les idées plutôt que de les dépasser quand cela aurait été nécessaire, comme l’I.S. avait dépassé la théorie révolutionnaire antérieure. “La joie de révolution” de Knabb ne prétend donc pas être original[e]; c’est plutôt une introduction, quelque peu didactique mais facile [claire/agréable] à lire, au “bon sens” de la théorie révolutionnaire anti-hiérarchique, destinée aux lecteurs pas autrement convaincus. [= qui n’ont pas été convaincus par d’autres raisons]. Bien que sous cet angle ce texte a quelques mérites, certains lecteurs seront d’accord avec nous en trouvant que la façon dont il traite la démocratie soit bien trop peu critique — encore un autre héritage non contestée des situationnistes.

Si les idées de l’I.S. sont plus ou moins complètes [achevées], comme Knabb semble croire, la chose la plus importante est alors de les communiquer. Ce qui frappe dans le récit fait par Knabb de sa propre activité, c’est combien elle était centrée sur des textes: ses “interventions étaient principalement des écrits, des affiches, des tracts. Dans son “fétichisme pédantesque pour la précision”, Knabb croyait qu’il était essentiel de choisir les mots justes, même si cela n’exigeait le fait d’écrire et de récrire ses tracts maintes fois jusqu’au point de la perfection. De sorte que son bref tract sur la guerre du Golfe a pris presque deux mois à écrire et n’était diffusé que quand la campagne contre la guerre était presque finie. D’autre documents dans la collection reflète la même loyauté aux idées de l’I.S. La réponse de Knabb à l’émeute de Los Angeles de 1992 n’était pas une analyse nouvelle, en apprenant [des choses] des nouvelles expressions de la pratique anti-capitaliste manifestées dans l’émeute. Au lieu de ça, il a diffusé une nouvelle traduction du texte classique de l’I.S. “Le déclin et la chute de l’économie spectaculaire-marchande”!

Dans “Les aveugles et l’éléphant” Knabb juxtapose de nombreuses citations critiques sur l’I.S., pas seulement de commentateurs bourgeois superficiels, mais aussi des révolutionnaires, y compris une remarque critique tirée de Eclipse and Re-Emergence of the Communist Movement [##] de Barrot et Martin. L’inclusion de cette citation ne démontre pas le refus dogmatique de comprendre de Barrot et Martin, mais [plutôt celui] de Knabb. La critique de Barrot, que nous discutons ailleurs, est, considérée d’une perspective révolutionnaire, peut-être l’analyse critique de l’I.S. la plus utile jusqu’au présent. (...)

[L’article conclut avec un éloge de la critique de l’I.S. faite par Jean Barrot; et une dénonciation de l’anthologie “What Is Situationism?” de Stewart Home.]

Aufheben no. 6 (Angleterre, automne 1997)

* * *

(...) Dans son livre récent, Public Secrets, Ken Knabb reconnait que les projets révolutionnaires peuvent produire du plaisir. Dans “La joie de la révolution” il présente une perspective politique qui recoupe à bien des égards celle des radicaux de Fifth Estate: que les problèmes ne peuvent être résolus individuellement, que le capitalisme a des grandes capacités pour la récupération, que les programmes autoritaires et étatistes méritent d’être jetés à la poubelle. Dans une transformation sociale qui abolirait la hiérarchie, l’argent et l’asservissement aux marchandises, il n’y aura aucun rôle pour les parties d’avant-garde ni les leaders omniscients.

Knabb reconnait que les actes individuels qui défient le pouvoir peuvent être difficiles à réaliser, ne serait-ce que simplement parler publiquement ou diffuser un texte écrit. Mais l’action concrète fournit de l’expérience et aide à choisir des tactiques ultérieures. Voilà une de ses formulations:

L’alpha et l’oméga de la tactique révolutionnaire, c’est la décision. (...) La méthode la plus simple pour le dépistage des conneries est d’observer si les décisions d’un individu l’entraînent à agir et si son action l’entraîne à prendre des décisions.

Il prévient qu’il est facile de se faire dérouté en luttant contre des extrémistes:

Si tous les problèmes peuvent être attribués à une clique sinistre de “purs fascistes”, toute autre chose aura par comparaison un air progressiste soulageant. En attendant, les véritables formes de domination moderne, qui sont généralement plus subtiles, continuent à passer inaperçues et sans opposition.

Gare aussi au réformisme:

Croire qu’une série de réformes menera finalement à une transformation qualitative, c’est comme penser qu’on pourrait traverser un gouffre de dix mètres en faisant une succession de sauts d’un mètre.

Les lecteurs qui connaissent Knabb comme traducteur et interprète de l’Internationale Situationniste reconnaîtront combien son analyse a été influencée par Guy Debord, Raoul Vaneigem et leur milieu. Son adaptation de ce système de pensée au contexte nord-américain rend plus concrètes les formulations abstraites des auteurs français. Ses applications des théories situationnistes les rendent plus précises et donc plus provocatrices. Ses conseils sur comment produire et diffuser un tract peuvent être plus propices pour inspirer l’action que ne l’est un slogan comme “Soyez réaliste, demandez l’impossible”. Mais les critiques rigoureuses et cruelles émises par les situationnistes contre les belles âmes progressistes et les flagorneurs du pouvoir établi ont aidé Knabb à analyser et à discréditer leurs homologues américains.

Knabb ne prend pas les situationnistes comme modèle à tous les égards. Dans “La réalisation et la suppression de la religion”, brochure largement diffusée qui a été écrit quinze ans avant Public Secrets, le dernier paragraphe dit:

Nous avons besoin de développer un nouveau style, un style qui garde le tranchant des situationnistes mais avec une magnanimité et une humilité qui laissent de côté leurs rôles et intrigues sans intérêt. La mesquinerie est toujours contre-révolutionnaire.

(...) Dans sa vue d’une société post-capitaliste, Knabb rejette les parlements, l’argent et les managers élitistes, mais regimbe contre l’idée que les machines du XXe siècle puissent être éliminées. Dans dix paragraphes succincts à la fin de “La joie de la révolution” nous trouvons sa diatribe contre les technophobes, mais sa véhémence assombrit les pages antérieures — pages qui examinent des possibilités diverses pour des rapports sociaux libertaires et généreux.

Une fois la révolution accomplie, Knabb prévoit et approuve la décentralisation et la diversité. La dissension ne disparaîtra pas, mais il est persuadé que la collaboration rationnelle des résidents d’une communauté allégera une bonne partie des conditions imposées par le capitalisme qui causent les souffrances et les problèmes.

Certaines technologies — le pouvoir nucléaire, par exemple — seront inacceptables dans sa société post-révolutionnaire. Mais ne menacez pas l’accès à ce qu’il nomme son “ordinateur épatant”. Bien qu’il admet que la technologie informatique actuelle implique quelques inconvénients (surexploitation dans le travail, pollution), il est persuadé que ces problèmes pourraient être résolus avec l’aide de — “l’automatisation informatisée”!

Knabb prétend, à tort, que tous ceux qui sont contre la technologie préconisent le “retour à un paradis primitif”. Il rejette avec indignation la possibilité que la satisfaction sociale puisse être achevée sans les jouets et les facilités urbaines du XXe siècle. Knabb a également tort de s’inquiéter sur la possibilité que des technophobes autoritaires proscrivent les avions, les téléphones et les automobiles dans une société post-capitaliste égalitaire. Ces objets disparaîtront parce qu’il n’y aura pas d’ “opérateurs” pour travailler dans les usines, les aciéries et les mines, même si elles étaient autogérées. Sans y être contraint, c’est peu probable que personne ne passerait même une seule heure dans de tels environnements.

Il nous assure: “Les avions seront toujours utilisés pour les voyages intercontinentaux (rationnés s’il le faut) et pour certains envois urgents”. Or il faut beaucoup de gens soumis à un asservissement discipliné aux machines pour produire un avion, et pour fournir du combustible et des pistes d’atterrissage. Si de tels objets sophistiqués existent, il faudra bien sûr un rationnement. Et une fois fixées des priorités “urgentes” et ce rationnement, peut-on éviter de voir apparaître bientôt un cadre administratif?

La deuxième section de Public Secrets, “Confessions d’un ennemi débonnaire de l’État”, est une attachante autobiographie de 70 pages. Knabb raconte l’itinéraire politique et personnel qui l’a conduit au radicalisme. Parmi ses mentors littéraires: Fredrick Douglass, Walt Whitman, Kenneth Rexroth.

Il a été influencé par les mouvements révolutionnaires et contre-culturels des années 60: drogues, musique, manifestations. Entre 1970 et 1993 il a écrit beaucoup de textes présentant sa critique et ses analyses des événements et des programmes politiques. Tous sont compris dans Public Secrets dont ils constituent deux tiers de l'ouvrage.

Comme la période de contestation tumultueuse tirait à sa fin, il a entrepris la traduction d’un grand nombre de textes situationnistes, en plus de se consacrer à la varappe, au violon, aux échecs, au tennis et à la méditation zen. Il continue d’éditer des textes subversifs.

Il est décevant de constater que, dans l’exposé qu’il fait des secrets publiques divers, Knabb renonce à une critique semblable de la technologie.

Encore un pas, camarade!

Fifth Estate (Detroit, été 1999)

 


Traduction provisoire de Selected Opinions on the BPS faite par Ken Knabb (en attendant une version corrigée en bon français).


[Opinions francophones sur le BPS]

[Autres textes en français]

 

   


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